LETTRE À SAHID 


Mon cher petit Sahid

Tu ne recevras sûrement jamais cette lettre ou si par le fruit du hasard, elle arrivait un jour entre tes mains, je doute que tu puisses la déchiffrer et la comprendre... Mais qu'importe, je ne peut refouler en moi ce désir de t'exprimer tout ce que je ressens après avoir vécu des moments si forts auprès de toi et de tant d'autres... Combien j'aimerais de la même manière pouvoir écrire à chacun de tes petits frères de l'Est rencontrés cet été ! Combien j'aimerais vous serrer l'un après l'autre dans mes bras pour tout ce que vous m'avez apporté sans peut-être le soupçonner une seule seconde !

Devant l'impossiblité de réaliser ce souhait, je t'ai choisi toi, Sahid, pour te parler au nom de tous les autres enfants, non pas parce que tu étais le meilleur ou le plus mignon mais au contraire parce que tu étais parmi les plus faibles et qu'à travers tes handicaps et tes blessures intérieures, tu représentais, avec éclat et mieux qu'aucun autre, ce scandale qu'est la souffrance aux yeux du monde et ce paradoxe déroutant qui place au coeur même de cette souffrance là source du bonheur !

Orphelin de mère à 10 ans, et fils d'un père alcoolique, tu avais été placé dans ce centre pour jeunes handicapés à peine quelques mois avant notre arrivée... Toi-même sourd et muet, tu essayais de prendre tes repères comme tu le pouvais et de te faire une place dans ce nouveau monde si étrange. Du fait de ta surdité, la communication avec tes petits frères, eux-mêmes handicapés mentaux, était assez limitée et tu te réfugiais finalement le plus souvent dans ton propre monde, fruit de ton imagination.

La première fois que je t'ai vu, j'ai tout de suie été conquis. Je ne saurais comment expliquer cette attraction irrésistible mêlée de pitié, de compassion et d'admiration qui s'empara de moi à ce moment-là. Moi qui étais venu « t'apporter la joie et l'espérance », je me sentis soudain tout petit et démuni face à cet enfant qui étais là devant moi et qui transpirait la pureté et la simplicité. Moi qui n'avais jamais connu la souffrance, je la voyais à travers toi et elle me souriait... Tes yeux étaient profondément tristes, et pourtant tes lèvres souriaient sans cesse... Quelle étrange sensation ! Quelle leçon d'espérance ! Quel témoignage de vérité !

Certes, nous t'avons bien fait rire par nos clowneries et nos jongleries. Je me souviens encore des petits cris perçants que tu poussais en nous observant les yeux grands ouverts, seule manière pour toi d'exprimer ta joie. Tu avais tellement aimé notre spectacle que tu nous l'avais remimé intégralement et dans l'ordre l'après-midi même ! Quel échange admirable ! On entend souvent dire que « donner c'est recevoir encore plus ». Mais je crois qu'il y a des vérités qu'il faut soi-même expérimenter pour les comprendre vraiment. Désormais oui, je peut soutenir la vérité de ce paradoxe apparent en pesant chacun de ces mots : « DONNER C'EST RECEVOIR ENCORE PLUS ! »

Mon cher petit Sahid, nous resterons peut-être dans ta mémoire comme une étoile filante qui aura traversé le ciel de ta vie et égayé, en l'espace de quelques jours, ta vie quotidienne. Sache toutefois, que ton visage et tes faibles gémissements resteront à jamais graver dans ma mémoire et qu'au-delà de ce souvenir impérissable, c'est un saisissant, bouleversant et inoubliable témoignage d'Amour et d'Esperance que tu nous auras donné. Pour tout cela et pour être ce que tu es, MERCI, je ne t'oublierai jamais et je prie pour toi,

Théo